C’était l’époque des modems qui chantaient leur mélodie stridente, cette symphonie électronique qui annonçait notre passage vers ce nouveau monde digital. GeoCities, notre première terre d’accueil virtuelle, organisée en quartiers comme une véritable ville numérique. Area51 pour les passionnés de science-fiction, Hollywood pour les cinéphiles, Tokyo pour les fans de manga…

Pour trouver quoi que ce soit sur le web, AltaVista était notre fidèle compagnon. Son interface sobre, sa petite boîte de recherche qui nous promettait de découvrir les trésors cachés du web. On se souvient de ces moments magiques où l’on tapait des requêtes avec des +, des – et des guillemets, comme des formules magiques pour dénicher la page parfaite. Et quand on trouvait enfin ce qu’on cherchait, on le sauvegardait précieusement dans nos favoris Netscape, car qui sait si on retrouverait jamais cette page ?

Je me souviens encore de ces longues soirées passées à construire ma page personnelle sur GeoCities. Le HTML appris page après page, les balises <font> et <marquee> utilisées sans modération. Les GIFs animés parsemaient nos pages : des étoiles scintillantes, des lignes de séparation qui clignotaient, cette petite pelle qui creusait éternellement pour signaler que le site était « en construction »…

Mygale, c’était notre coin de France sur le web. Un hébergeur gratuit qui nous permettait de nous exprimer en français, de créer nos premiers sites sans complexe. Les URLs en ~pseudo nous donnaient un sentiment d’appartenance, comme une adresse dans ce nouveau monde virtuel.

Chez.com suivait la même philosophie, mais avec cette touche si française, ce « chez » qui évoquait un lieu familier, une maison numérique où l’on pouvait installer ses fichiers, ses images, ses pensées. 5 Mo d’espace, c’était le luxe à l’époque ! On optimisait chaque image en GIF ou JPEG pour gagner quelques précieux kilo-octets.

Les soirées de téléchargement étaient des moments d’espoir et de désespoir mêlés. On lançait un download crucial avant d’aller se coucher, priant pour que la connexion ne coupe pas pendant la nuit. Et ces fichiers .mid qui jouaient nos chansons préférées en version synthétique, qu’on collectionnait précieusement !

Les compteurs de visiteurs trônaient fièrement en bas de nos pages, même s’ils n’affichaient que quelques dizaines de passages. Le livre d’or était notre réseau social primitif, où les visiteurs laissaient leurs impressions, souvent accompagnées d’émoticônes tapées au clavier : 🙂

Les webmestres (on adorait ce titre !) passaient des heures à peaufiner leurs créations sur Notepad, à échanger des astuces sur les forums, à partager des tutoriels photocopiés-collés. Les bannières « Ce site est optimisé pour Netscape Navigator » ou « Mieux vu en 800×600 » étaient nos badges d’honneur. Et qui ne se souvient pas des fameux « frames » qui divisaient nos pages en sections, nous donnant l’impression d’être des architectes du web ?

Les chats sur IRC ou le Caramail étaient nos rendez-vous quotidiens. On y rencontrait des gens du monde entier, on échangeait des « ASV » (Âge, Sexe, Ville) comme des rituels d’introduction. Les pseudos étaient choisis avec soin, ornés de ^^ ou de [crochets] pour se donner un style.

Et comment oublier ICQ ? Ce petit logiciel révolutionnaire avec son célèbre « Uh-Oh! » qui résonnait dans nos chambres à chaque nouveau message. On se rappelait par cœur notre numéro ICQ (7606692 en ce qui me concerne) comme un nouveau numéro de téléphone cool et branché. Les statuts « Away » ou « Do Not Disturb » qu’on changeait religieusement, et cette petite fleur qui s’animait quand on recevait un message… C’était notre première vraie messagerie instantanée, bien avant MSN Messenger.

Pas de SEO, pas de marketing digital, juste la passion de partager et de créer.
Les mises à jour étaient annoncées fièrement avec un « NEW! » clignotant en rouge vif.

C’était l’époque où le web était encore un terrain de jeu, un espace de liberté où chacun pouvait expérimenter, créer, partager sans se soucier des algorithmes ou du personal branding. Un temps où le « Under Construction » était une promesse d’avenir plutôt qu’un aveu d’abandon.

Aujourd’hui, quand je vois ces captures d’écran sur Internet Archive, je ne peux m’empêcher de sourire. Ces designs étaient peut-être naïfs, mais ils portaient en eux tout l’enthousiasme des pionniers du web. Une époque révolue, mais dont l’esprit continue parfois de scintiller, comme un vieux GIF animé qui refuse de s’éteindre…